C'était un très bon nègre.
Et on lui jetait des pierres, des bouts de ferraille, des tessons
de bouteille, mais ni ces pierres, ni cette ferraille, ni ces bou-
teilles ...
Ô quiètes années de Dieu sur cette motte terraquée !
et le fouet disputa au bombillement des mouches la rosée
sucrée de nos plaies.
Je dis hurrah ! La vieille négritude
progressivement se cadavérise
l'horizon se défait, recule et s'élargit
et voici parmi des déchirements de nuages la fulgurance d'un
signe
le négrier craque de toute part ... Son ventre se convulse et
résonne... L'affreux ténia de sa cargaison ronge les boyaux
fétides de l'étrange nourrisson des mers !
Et ni l'allégresse des voiles gonflées comme une poche de
doublons rebondie, ni des tours joués à la sottise dangereuse
des frégates policières ne l'empêchent d'entendre la menace de
ses grondements intestins
En vain pour s'en distraire le capitaine prend à sa grand' vergue
le Nègre le plus braillard ou le jette à la mer, ou le livre à l'ap-
pétit de ses molosses
La négraille aux senteurs d'oignon frit retrouve dans son sang
répandu le goût amer de la liberté
Et elle est debout la négraille
la négraille assise
inattendument debout
debout dans la cale
debout dans les cabines
debout sur le pont
debout dans le vent
debout sous le soleil
debout dans le sang
debout
et
libre
debout et non point pauvre folle dans sa liberté et son dénue-
ment maritimes girant en la dérive parfaite et la voici :
plus inattendument debout
debout dans les cordages
debout à la barre
debout à la boussole
debout à la carte
debout sous les étoiles
debout
et
libre
et le navire lustral s'avancer impavide sur les eaux écroulées.
"C'était un très bon nègre."
Cahier d'un retour au pays natal
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